La mécanique subtile du FMI face à la dette cachée du Sénégal

Par Cheikhou Oumar Sy, ancien parlementaire – Président de l’OSIDEA

La révélation par les nouvelles autorités sénégalaises d’une dette cachée de près de 7 milliards de dollars a provoqué un séisme politique, économique et social. Mais au-delà du choc, c’est l’attitude du FMI – prudente, graduelle, parfois ambiguë – qui mérite une lecture attentive. Car derrière le vernis technocratique, une véritable stratégie de communication maîtrisée s’est déployée, guidée moins par la vérité que par la préservation de l’image de l’institution.
Tout commence par une prudence calculée. Au moment où Dakar dévoile l’ampleur de cette dette dissimulée, le FMI adopte un langage feutré : « préoccupation », « clarification nécessaire », « informations supplémentaires ». Une manière subtile de gagner du temps et, surtout, d’éviter toute remise en cause de ses propres mécanismes de surveillance, pourtant mis à contribution pendant toute la décennie précédente.
Mais la pression de l’opinion publique et l’ampleur des interrogations obligent l’institution à avancer. S’ensuit alors une cascade de missions dépêchées au Sénégal pour “comprendre”. Ce déploiement, en apparence technique, a un effet immédiat : dépolitiser le scandale, le transformer en dossier comptable, et offrir au FMI un espace pour repositionner son récit.
Vient ensuite le moment clé : la déresponsabilisation narrative. Le FMI martèle que l’État est seul responsable de la déclaration de sa dette, qu’il « constate » seulement les chiffres transmis. Un discours habile qui efface dix ans de validation de rapports, de satisfecit macroéconomiques, et même l’octroi récent d’un programme de 1,8 milliard de dollars.
Pour achever son recalibrage, le FMI pousse les autorités à mandater Forvis Mazars, un cabinet externe. L’audit devient alors l’alibi parfait. Les chiffres montent progressivement de , 99 %, à 119 %, puis finalement à 132 % du PIB et, une fois le diagnostic posé, le FMI peut enfin « accepter » l’existence de la dette… tout en s’en lavant les mains.
La déclaration finale du chef de mission Edward Gemayel résume cette mécanique :
« On n’a jamais vu une dette cachée d’une telle ampleur en Afrique. »
Le FMI signe ici la conclusion de sa stratégie : reconnaître le scandale, pointer du doigt l’ancien régime, mais s’effacer de l’histoire. Une élégante pirouette institutionnelle, mais un échec moral.
Car au-delà des chiffres, un enjeu demeure : sans redevabilité internationale, la souveraineté économique restera un mirage. Et les peuples continueront de payer pour des erreurs que personne ne veut assumer.

Mis en ligne par Buur Sine 

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