Quand la métaphore devient notation : le quatrième sous-sol validé par Moody’s
Note critique sur la dégradation de la note souveraine du Sénégal
Par Waly Latsouck FAYE
Entre contradictions gouvernementales, déni budgétaire et verdict chiffré, la dégradation de la note souveraine du Sénégal par Moody’s révèle un décalage profond entre la parole politique et la réalité économique.
Le 10 octobre 2025, l’agence Moody’s a abaissé la note souveraine du Sénégal de B3 à Caa1. Le ministère des Finances, dirigé par Cheikh Diba, a réagi par un communiqué véhément, dénonçant une décision « spéculative, subjective et biaisée ». Cette réaction appelle une mise au point critique, tant sur le fond économique que sur la dramaturgie institutionnelle.
*Dissonance cognitive et brouillage narratif*
Comment un gouvernement qui déclarait récemment que le pays est « au quatrième sous-sol » peut-il aujourd’hui invoquer la robustesse des fondamentaux ? Comment une équipe qui affirmait qu’« il n’y a aucune alternative » peut-elle publier un plaidoyer de confiance et d’attractivité ?
Cette contradiction n’est pas une simple maladresse : elle révèle un brouillage synaptique, une incapacité à relier les signaux de détresse à une réponse cohérente. Le langage officiel devient un théâtre de déni, où les mots ne correspondent plus aux réalités vécues.
*La réalité des indicateurs*
Moody’s ne s’est pas contentée d’une intuition : elle s’appuie sur des ratios alarmants. Une dette publique estimée à 119 % du PIB, un ratio dette/recettes de 581 %, et une dépendance accrue au marché régional pour les levées de fonds. Ces chiffres ne relèvent ni de la spéculation ni du caprice, mais d’une analyse structurelle.
Le ministère évoque un taux d’exécution des recettes de 50 % à fin juin et un déficit de 588 milliards FCFA, tout en visant un déficit de 7,8 % du PIB pour 2025. Mais ces chiffres, loin de rassurer, confirment la tension budgétaire et la fragilité du modèle de financement.
Le plaidoyer ministériel : entre posture et performativité
Le communiqué du ministère est un exercice de performativité institutionnelle : il ne cherche pas à convaincre Moody’s, mais à rassurer les partenaires et les citoyens. Il invoque des réformes (PRES, Code des investissements) et une « mobilisation réussie » de financements. Mais il omet de nommer les risques systémiques, les retards structurels, et les signaux d’alerte que les agences ne font que relayer.
*Le quatrième sous-sol validé : quand le populisme rencontre la notation*
La note Caa1 attribuée par Moody’s ne surgit pas comme une surprise : elle correspond exactement à ce que le gouvernement avait lui-même formulé, dans un moment de lucidité ou de désespoir, en parlant du « quatrième sous-sol ». Ce niveau n’est pas une figure de style : il est désormais objectivé, chiffré, validé par une agence internationale.
Dans la cartographie de Moody’s, les hauteurs financières commencent au penthouse des économies notées Aaa, où la solvabilité est sans faille. En descendant, on traverse les étages intermédiaires (Aa, A, Baa) qui correspondent à des économies solides mais exposées. Puis vient le premier sous-sol : Ba, où le risque devient palpable. Le deuxième sous-sol, B, est déjà spéculatif. Et enfin, le troisième et quatrième sous-sol (Caa3, Caa2, Caa1) où l’air devient rare, la lumière institutionnelle vacille, et la confiance des investisseurs s’effondre.
Le gouvernement, en évoquant ce quatrième sous-sol, avait peut-être voulu provoquer, alerter ou dramatiser. Mais lorsque Moody’s confirme ce niveau par une notation technique, il tente de le réfuter, comme si le théâtre du désespoir devenait soudain trop réel, trop mesurable, trop visible. Ce retournement révèle une tension entre la parole politique et la parole financière, entre la métaphore et la métrique.
Caa1 n’est pas une exagération : c’est une validation. Et cette validation, loin d’être une agression extérieure, est le miroir exact de ce que le gouvernement avait lui-même mis en scène. Le populisme rencontre ici la notation, et le sous-sol devient un seuil de vérité.
*Vers une souveraineté narrative ?*
La question n’est pas seulement économique : elle est épistémique. Qui parle pour le Sénégal ? Avec quelle mémoire, quelle rigueur, quelle responsabilité ? Peut-on continuer à externaliser l’évaluation de notre économie à des agences étrangères, tout en refusant d’en assumer les conséquences diplomatiques et financières ?
Il est temps de reconstruire une souveraineté narrative, fondée sur des indicateurs transparents, des audits indépendants et une parole publique cohérente. La confiance ne se décrète pas : elle se mérite par la clarté, la rigueur et la mémoire des engagements.
Waly Latsouck FAYE
Ingénieur informaticien
Ancien informaticien de la CENA
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