FMI – Sénégal : entre dette « cachée » et agenda caché

Dr Aly Hann

Depuis un an déjà, le Sénégal est pris en otage par une affaire de « dette cachée ». Elle se traduit par une augmentation du taux d’endettement du pays de plus de 100 %, selon certaines sources (en attendant la publication des chiffres officiels par le gouvernement), dépassant ainsi les taux recommandés par l’UMOA, fixés à 70 % du PIB. Certains parlent d’un montant de 7 milliards de dollars, soit 4 500 milliards de FCFA entre 2019 et 2024.

Cette situation de dette cachée pose trois problématiques majeures :
1. La limitation de la capacité d’endettement du nouveau régime, notamment avec ce que certains appellent une « absence de marges de manœuvre », un « matteu mou toyy », ou encore un « quatrième sous-sol ».
2. Le non-respect des lois relatives aux finances publiques, alors que la transparence devrait être l’un des fondements de la République.
3. L’enjeu politique consistant à poursuivre et ternir l’image de l’ancien Président de la République, M. Macky Sall.

Naturellement, le régime en place pourrait être tenté de saisir ces trois points comme autant d’opportunités, pour deux raisons principales :
1. Se dédouaner face au FMI à travers l’aveu d’une dette cachée – dont les principaux concernés et leurs avocats attendent toujours les documents justificatifs.
2. Couler un adversaire politique, en l’occurrence Macky Sall et son parti, l’APR.

Qui pourrait leur en vouloir, dans un contexte de guerre politique et politicienne ? On comprend dès lors pourquoi cette affaire de dette cachée a été exposée sous plusieurs angles, même si la version officielle se présente comme un simple exercice de transparence.
Mais quid des autres formes de transparence : la justice, les caisses noires, les recrutements de l’État, la publication des rapports des corps de contrôle ? L’avenir nous le dira.

Des conséquences lourdes pour l’image du Sénégal

Deux conséquences majeures découlent de cette affaire :
1. La décrédibilisation de l’image du Sénégal et de la “destination Sénégal”, qui jouissait jusqu’à récemment d’une excellente réputation, notamment grâce à la découverte du pétrole et du gaz.
Affirmer aujourd’hui l’existence d’une « dette cachée », alors que plusieurs institutions – parmi les plus puissantes de la République – sont censées veiller sur les finances publiques, revient à remettre en cause la sincérité de l’État dans sa gestion financière.
On parle ici de la Direction de la Dette Publique (DDP), rattachée à la Direction Générale de la Comptabilité Publique et du Trésor (DGCPT), du Comité National de la Dette Publique (CNDP), du Trésor public, de l’Inspection Générale d’État (IGE), de la Direction du Contrôle Interne (DCI), sans oublier la Cour des comptes, qui n’a jamais relevé auparavant une telle situation à ce qu’il paraît.
Où étaient donc ces corps de contrôle ?
Et pourquoi le gouvernement ne déclenche-t-il pas une enquête nationale impliquant le procureur et les agents compétents, si les faits sont avérés ? Pourquoi se concentrer uniquement sur l’ancien président Macky Sall ?
Ce qui intéresse réellement le pouvoir : la dette, l’intérêt du pays, ou Macky Sall ?
2. La dégradation de la note souveraine du Sénégal par les agences de notation internationales, notamment Moody’s, qui a abaissé la note du pays de B1 à B3, puis à Caa1 avec une perspective négative.
Cette note Caa1 signifie que le Sénégal présente un risque de crédit très élevé, autrement dit que la probabilité d’un défaut de paiement est importante.
Mais la question se pose : est-ce uniquement la déclaration du Premier ministre Sonko sur la dette cachée qui a provoqué cette dégradation ?
Sans l’affirmer catégoriquement, rappelons que d’autres pays ont connu des déclassements similaires après des annonces de ce genre.
À ces conséquences s’ajoutent un climat économique morose, la suspension d’activités dans des secteurs porteurs comme l’immobilier, des milliers d’emplois supprimés, une tension politique accrue, et surtout un doute grandissant dans les esprits de nombreux intellectuels : le nouveau régime va-t-il gouverner ou simplement jouer au chat et à la souris jusqu’en 2029, en attendant le retour du “grand mentor, premier du nom” ?
Est-ce vraiment favorable au Sénégal, malgré les efforts du gouvernement ? À chacun d’en juger.

Faut-il plus de transparence ou moins de spectacle ?

Sortons du duel entre l’ancien et le nouveau régime.
Pourquoi ne pas publier tous les rapports officiels sur la place publique, pour mettre fin aux suppositions ?
Le FMI doit-il être mieux informé que le Sénégalais lambda, alors que c’est le peuple qui subit les conséquences de ces décisions ?

Le FMI, grand gagnant ?

À mon avis, en tant que fervent défenseur de la souveraineté, je pense que le FMI s’en sort bien, pour deux raisons :
1. Le Sénégal semble s’être livré pieds et poings liés à une institution qui, loin d’être une amie, poursuit avant tout ses propres intérêts – des enjeux que le pays ne maîtrise que très partiellement.
2. Le FMI redevient maître du jeu, après plus de soixante ans de luttes pour libérer notre économie de cette dépendance.
Et pourtant, nous commencions à espérer devenir un pays prêteur de fonds en Afrique, avec l’exploitation du pétrole et du gaz.
Peut-on parler d’un agenda caché du FMI ? Le temps nous le dira.

En attendant, le gorgorlou devra prendre son mal en patience et puiser dans les leçons de résilience tirées de la crise de la Covid-19.
Courage les gars ! Serrons les dents et restons concentrés.

Et le peuple dans tout ça ?

C’est le moment de poser le débat au gorgorlou sénégalais.
Que penseraient le Baay Guinar ou les banas-banas de tout cela ?
Préféreraient-ils une dette cachée qui augmente les ressources disponibles et améliore leur quotidien, quitte à ce qu’elle soit remboursée plus tard ?
Ou bien un exercice de transparence politico-patriotique, salué par le FMI mais qui plonge le pays dans une pauvreté accrue ?

Damay lathié dongg !
Entre le FMI et le Sénégal, on risque bien de se retrouver dans les comptes d’Amadou Coumba, quand Bouki l’hyène disait à Gnambala la girafe :

« Gnamala, kaay wouyou sa baay – sama baay douma woyé paaka. »

Les classiques comprendront. Lepp kenn menouko wakh…

En conclusion

Revenons à plus de lucidité.
J’adresse deux questions :
• Au régime en place : irez-vous jusqu’au bout de cet exercice de transparence à 360° — vis-à-vis du FMI, de l’Occident, de l’Afrique et du peuple sénégalais ?
• À M. Macky Sall : pourquoi n’avoir pas préparé un bilan détaillé pour transmettre des données fiables à la nouvelle équipe ?

L’avenir nous le dira.

Excellent week-end à tous !

Dr Aly Hann
Enseignant Chercheur
Président du Mouvement Politique et Citoyen Espoir Sénégal

Mis en ligne par Buur Sine