Budget Sénégal 2026 : Entre Souveraineté affirmée, Défis macroéconomiques et nouveaux Alliés géopolitiques

Par Dr Seydina Oumar Seye

Le record de 7 434 milliards FCFA sous l’ère du président Bassirou Diomaye Faye marque un virage stratégique. Mais face à la dette cachée et aux turbulences mondiales, la marge de manœuvre reste étroite. Décryptage des enjeux. En effet, le contexte mondial est présentement marqué par des incertitudes géopolitiques,une inflation persistante et un resserrement monétaire global, le Sénégal, sous le magistère du tandem Diomaye-Sonko, présente une Loi de Finances (LFi) 2026 ambitieuse et sans précédent. Avec un budget programmé à 7 433,9 milliards de FCFA (environ 11,3 milliards d’euros), ce texte ne se contente pas de gérer l’ordinaire ; il aspire à incarner une rupture, en posant les fondements d’une nouvelle souveraineté économique et d’une transformation structurelle et systémique. Cette ambition se déploie pourtant sur un terrain miné : héritage d’une dette opaque, pression sociale forte, et dépendance à des bailleurs traditionnels. À travers les quatre interrogations posées, cette contribution propose une analyse experte et documentée de la pertinence, des défis et des opportunités de ce budget, à l’aune des avantages comparatifs du pays et des nouvelles alliances en gestation.

1. LFi 2026 : Appréciation d’un budget de rupture et de consolidation sous contraintes

Le deuxième budget de l’administration du régime actuel est incontestablement un budget de « rupture dans la continuité », où la rupture est affichée dans les objectifs (souveraineté, transformation) et la continuité dans certaines méthodes (recours à la fiscalité, financement par projets).

Pertinence et ambitions affichées :

· Un budget record tourné vers l’investissement : L’enveloppe historique est principalement orientée vers 44 projets prioritaires, couvrant des secteurs clés comme l’agriculture (Vision Sénégal 2050), l’énergie (transition vers le gaz et renouvelables), les infrastructures de transport et le numérique. Cette concentration répond à un impératif de transformation productive et vise à capitaliser sur les avantages comparatifs du pays : hub logistique régional, potentiel agricole et minier (or, phosphate, zircon, fer du projet Simandou-Sud), et capital humain jeune connecté et imprégné aux défis et enjeux du numérique.
· Le mantra de la souveraineté : L’accent mis sur la souveraineté alimentaire, énergétique et financière est une réponse directe aux chocs exogènes (guerre Ukraine-Russie, crise post COVID-19) et une volonté politique marquée de réduire les vulnérabilités. Les projets sur les fertilisants locaux ou la valorisation du gaz en sont des illustrations concrètes.
· Renforcement des recettes par la fiscalité : La création de nouvelles taxes (ex: taxe sur les transactions électroniques, élargissement de l’assiette) vise à élargir l’espace budgétaire sans recourir immédiatement à plus de dette. C’est une logique de consolidation, cohérente avec les préconisations du FMI, mais qui présente un défi de mise en œuvre (risque de peser sur le pouvoir d’achat et la compétitivité des entreprises).

Défis et points de vigilance :

· L’exécution, talon d’Achille : L’histoire budgétaire sénégalaise est émaillée de taux d’exécution décevants des budgets d’investissement. La capacité administrative à conduire 44 projets de front, avec une gestion efficiente des marchés publics, sera le critère décisif de succès.
· Pressions inflationnistes et sociales : Dans un contexte où l’inflation reste une préoccupation mondiale, l’injection massive de fonds dans l’économie, si elle n’est pas parfaitement ciblée et canalisée vers l’offre productive, pourrait alimenter les prix. Les nouvelles taxes pourraient aussi cristalliser des mécontentements sociaux.Cependant, un « civisme fiscal » est nécessaire.
· Appréciation globale : Ce budget est courageux et nécessaire pour impulser une dynamique. Il témoigne d’une volonté politique forte. Cependant, il place la barre très haut en termes de gestion et d’efficacité. Sa réussite dépendra moins du montant que de la qualité de sa gouvernance et de sa capacité à générer une croissance inclusive et des emplois durables.

2. Relance économique et endettement : Un équilibre périlleux mais possible

La priorité affichée d’assainissement (maîtrise de la masse salariale, réforme fiscale) et de maîtrise de l’endettement semble, à première vue, en tension avec l’objectif de relance rapide. La question est donc légitime : peut-on relancer sans s’endetter massivement ?

Analyse :
La réponse est nuancée et réside dans la qualité, non la quantité, de la dette.

· Le piège de la dette non productive : L’histoire récente du Sénégal, avec des emprunts contractés pour des dépenses récurrentes ou des projets à rentabilité socio-économique faible, a alourdi le stock de dette sans créer les capacités de remboursement. L’assainissement est donc un préalable indispensable pour restaurer la crédibilité et la capacité future d’emprunt.
· Nécessité d’un endettement « intelligent » tourné vers les projets structurants : Une relance robuste nécessite des investissements massifs que les recettes internes, même renforcées, ne peuvent financer seules à court terme. La clé est de lier strictement tout nouvel endettement à des projets générateurs de revenus futurs ou de gains de productivité (infrastructures énergétiques, corridors de transport, usines de transformation). Ces projets doivent avoir une analyse coût-bénéfice irréprochable et une transparence totale. Le budget 2026, en ciblant 44 projets, semble adopter cette logique. Le défi est de résister à la pression politique et sociale pour dévier ces fonds vers des dépenses courantes.
· En conclusion : Oui, une relance est possible sans explosion de la dette, à condition d’une rigueur budgétaire extrême sur le fonctionnement (masse salariale, subventions peu ciblées) pour dégager une marge de manœuvre et rassurer les marchés, et d’un endettement exclusivement consacré à des investissements transformateurs et rentables. C’est un chemin étroit, mais c’est le seul durable.

3. Dette cachée et dette à payer : Quels leviers pour une sortie de crise ?

L’épineuse question de la dette cachée (engagements hors bilan de l’État, garanties accordées à des entreprises publiques ou PPP) et du service élevé de la dette (près de 30% des recettes budgétaires) constitue le principal frein structurel à la manoeuvre économique.

Les leviers à actionner de manière concertée :

1. Lever le voile et assainir : La première étape, déjà entamée avec les audits lancés, est la transparence totale. Il faut cartographier l’ensemble des engagements contingents, les évaluer et les intégrer dans une stratégie de dette globale. Cela passe par un renforcement des capacités du Trésor et de la Direction de la Dette.
2. Optimisation et restructuration de la dette existante : Le Sénégal doit activement négocier avec ses créanciers (bilatéraux, commerciaux) pour :
· Allonger les échéances (reprofiling) pour lisser la charge annuelle.
· Convertir des dettes en investissements (debt-for-nature ou debt-for-development swaps), par exemple échanger une partie de la dette contre des engagements du créancier à financer des projets verts au Sénégal.
· Racheter de la dette à décote sur les marchés secondaires si l’opportunité se présente.
3. Diversification des sources de financement et montée en gamme :
· Développer le marché local des capitaux (obligations en FCFA) pour réduire le risque de change et drainer l’épargne nationale.
· Attirer davantage de Financements Privés (PPP bien structurés) et de fonds d’investissement longs (fonds de pension, souverains) pour les projets infrastructurels.
· Monter en compétence pour accéder aux financements climatiques (Fonds Vert pour le Climat), auxquels le Sénégal, pays vulnérable, pourrait prétendre massivement.
4. Accélération des réformes pour la croissance : Le levier ultime est la croissance du PIB. Les réformes d’amélioration du climat des affaires, de facilitation du commerce, de flexibilité du marché du travail et d’efficacité de la justice commerciale sont essentielles pour générer les recettes fiscales supplémentaires qui permettront de servir la dette sans austérité étouffante.

4. Partenariats émergents : Les Émirats( EAU), la Chine, la Turquie peuvent-ils se substituer au quitus du FMI ?

La diversification des partenaires (EAU, Chine, Turquie) est une stratégie géopolitique et économique logique pour réduire la dépendance et obtenir des financements concessionnels et/ou des investissements directs.

Analyse de la coopération avec les EAU (Abu Dhabi) :
Les mémorandums signés le 10 décembre 2025 couvrent probablement l’énergie,les infrastructures, l’agriculture et la finance. Les EAU, via des fonds souverains comme ADQ ou Mubadala ( Fonds et finance islamique…), recherchent des actifs stratégiques et des rendements à long terme. Ils peuvent apporter des capitaux importants, des technologies et une approche « business » rapide.

Réponse à la question centrale : Non, ces partenariats ne peuvent pas, et ne devraient pas, se substituer au « quitus » du FMI. En revanche, ils peuvent complémenter une stratégie approuvée par le Fonds. Voici pourquoi :

· Le FMI comme label de crédibilité : L’accord du FMI (Facilité Élargie de Crédit, etc.) est un signal de garantie pour l’ensemble de la communauté financière internationale. Il certifie que les politiques économiques du pays sont saines, ce qui réduit le risque perçu par tous les investisseurs, y compris les Émiriens, Chinois et Turcs. Se passer du FMI reviendrait à emprunter sans notation crédible, à des coûts probablement plus élevés. Toutefois, le FMI doit accompagner et appuyer le Sénégal.
· Nature différente des financements :
· FMI : Prête principalement pour le besoin de financement global, la stabilisation macroéconomique et le renforcement des réserves. Ses prêts sont souvent à taux concessionnel mais conditionnés à des réformes structurelles (parfois douloureuses).
· EAU/Chine/Turquie : Financent principalement des projets spécifiques (ports, centrales, parcs industriels) via des prêts liés, des investissements directs ou des contrats « ressources contre infrastructures ». Les conditions financières et la transparence varient.
· Le scénario optimal : Le plus avantageux pour le Sénégal est de poursuivre un programme avec le FMI (même de précaution) pour maintenir la confiance, discipliner la politique économique et obtenir des taux favorables. Parallèlement, il doit négocier dur avec les nouveaux partenaires pour :
· Obtenir des conditions transparentes et soutenables (taux d’intérêt, période de grâce).
· Lier leurs financements aux projets structurants identifiés dans le budget, en priorisant les co-financements et les transferts de technologie.
· Éviter le piège des dettes collateralisées sur les ressources naturelles qui hypothèquent la souveraineté future.

Conclusion : Le Sénégal doit jouer sur tous les tableaux, mais avec une règle d’or : utiliser le label FMI comme un parapluie de crédibilité pour négocier en position de force avec tous ses partenaires, émergents ou traditionnels.
En sommes, la Loi de Finances 2026 du Sénégal est un pari ambitieux sur l’avenir, qui cherche à concilier souveraineté, transformation et discipline. Dans un contexte ambivalent de turbulences économiques mondiales mais de potentiel national prometteur, sa réussite repose sur une équation complexe :
1. Une exécution irréprochable et transparente des projets d’investissement.
2. Une gestion de la dette qui combine assainissement du passé et emprunts « intelligents » pour l’avenir.
3. Une diplomatie économique agile, utilisant le cadre rassurant d’un possible accord avec le FMI pour attirer des financements diversifiés et de qualité, notamment des nouveaux partenaires comme les Émirats Arabes Unis.rp
Le chemin est semé d’embûches, mais les atouts du Sénégal: stabilité politique, démographie, ressources et la volonté politique affichée offrent une fenêtre d’opportunité. La vigilance et l’expertise dans la mise en œuvre seront les seuls juges de paix.

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