La domination charismatique en politique : une analyse appliquée à Ousmane Sonko

Dans l’analyse sociologique de la domination, la figure d’Ousmane Sonko, leader du parti PASTEF-les Patriotes au Sénégal, illustre bien le concept de « domination charismatique » théorisé par Max Weber. Ce dernier développe cette notion dans son ouvrage posthume Économie et Société, devenu un classique incontournable de la sociologie. Weber distingue la puissance, qu’il définit comme la « chance de faire triompher au sein d’une relation sociale sa propre volonté, même contre des résistances, peu importe sur quoi repose cette chance », de la domination, qui suppose une légitimité acceptée par ceux qui subissent le pouvoir. Dans ce cadre, la domination charismatique se distingue par son caractère exceptionnel et transitoire, fondé sur la croyance en les qualités extraordinaires d’un leader.

Théorie de la domination charismatique selon Weber

Pour Weber, la domination charismatique est une forme de pouvoir atypique, ancrée dans une confiance intense et irrationnelle placée en un individu. Ce type de domination naît souvent en période de crise ou de bouleversement, quand la population est réceptive à des figures incarnant une rupture. Le charisme d’un leader permet de contourner les institutions établies, en établissant un lien direct et presque sacré avec les masses. Cette domination n’est ni stable ni durable : elle est directement liée à la personne du leader et disparaît avec lui, laissant place aux modes de domination traditionnels ou légaux-rationnels.

Ousmane Sonko et la domination charismatique au Sénégal

Dans le contexte sénégalais, la popularité d’Ousmane Sonko illustre bien la dynamique de la domination charismatique. De nombreux Sénégalais voient en Sonko un espoir de changement radical face à un système politique qu’ils jugent dépassé. Sa critique virulente des élites, ses discours contre la corruption et son image de leader intègre ont renforcé une adhésion forte et inconditionnelle de ses partisans. Dans un contexte marqué par des défis économiques et des revendications sociales croissantes, il cristallise les frustrations populaires et les espoirs d’un renouveau politique. Pour ses partisans, Sonko incarne une rupture avec l’ordre établi. Ses discours publics, qui s’adressent directement au peuple, contournent les canaux institutionnels traditionnels, consolidant ainsi son image de « leader du peuple ». Ce positionnement, en opposition frontale à l’ordre politique en place, reflète parfaitement le modèle de la domination charismatique décrit par Weber. En janvier 2024, Ousmane Sonko a démontré cette influence charismatique de manière inédite en appelant les Sénégalais à soutenir Bassirou Diomaye Faye comme candidat pour la présidentielle, au lieu de lui-même. Dans une vidéo du 28 janvier, il a mis en avant les qualités de Diomaye, son parcours et son engagement envers le projet politique de PASTEF. Ce geste, sans précédent dans l’histoire politique sénégalaise, témoigne de l’aura de Sonko et de sa capacité à diriger même en s’effaçant. De plus, lors de son discours après sa libération le 6 novembre 2024, Sonko a encouragé ses partisans à rester pacifiques et à éviter toute violence, en leur demandant de ne pas se rendre au palais présidentiel. Il a insisté sur l’importance de canaliser leur énergie vers des actions constructives en soutien au mouvement, sans confrontation directe. La manière dont ses partisans suivent ses directives, même en s’abstenant de manifester de façon intense, témoigne de sa domination charismatique et de l’influence puissante qu’il exerce sur ses partisans.

La fragilité de la domination charismatique de Sonko

La domination charismatique, bien qu’intense, reste cependant précaire. L’autorité de Sonko repose sur une adhésion personnelle et symbolique qui peut s’effriter face aux changements de contexte politique ou social. En cas d’échec à répondre aux attentes de ses partisans ou de perte de son capital symbolique, sa domination pourrait rapidement se déliter. Weber souligne que la domination charismatique est, par définition, limitée dans le temps et fragile face aux évolutions qui remettent en cause l’image du leader. Si Sonko perd son charisme aux yeux de ses partisans, le Sénégal pourrait retourner à des formes de domination plus institutionnalisées, à moins qu’un autre leader charismatique n’émerge pour capter l’imaginaire collectif.

Conclusion : Perspectives pour le Sénégal

L’exemple d’Ousmane Sonko nous rappelle le rôle déterminant du charisme dans les dynamiques de pouvoir en période de crise. Cependant, l’avenir de la domination charismatique au Sénégal dépendra de nombreux facteurs, notamment de la capacité des institutions à répondre aux attentes populaires. Le cas de Sonko soulève également des questions plus larges sur la place des figures charismatiques dans le renouvellement politique. À terme, il sera intéressant d’observer si cette domination charismatique évolue vers une stabilisation institutionnelle ou s’effondre, laissant place à une nouvelle forme de pouvoir.En s’appuyant sur la théorie de Weber, cet article propose une analyse des implications de la domination charismatique dans le contexte sénégalais, et offre une perspective sur les dynamiques possibles pour l’avenir politique du pays.

SEYDINA OMAR NIANG,
Etudiant chercheur en Sciences Politiques, UCAD
seydinaomar.niang@ucad.edu.sn

Mis en ligne par Buur Sine