
Le téléphone et le droit à l’éducation (Par Moustapha SYLLA)

Le téléphone est un outil majeur de nos quotidiens. Il s’illustre aujourd’hui, au-delà du fait qu’il nous permet de communiquer de manière classique, en nous connectant et en nous donnant accès à des contenus multiples. Du ludique à la recherche scientifique, en passant par le commerce et la socialisation, tout y est. Nous avons tous accès à l’internet, pour la plupart à travers le téléphone. Et sa centralité n’épargne aucune couche de la société. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que le monde professionnel tente de s’adapter à cette réalité : il est fréquent et il est de nos habitudes de créer des groupes à travers WhatsApp ou Telegram pour réunir des collègues, des camarades de promotion ou encore des professionnels ayant le même champ d’intervention. Ces groupes sont aujourd’hui des canaux privilégiés de dialogue et d’échange. Pour être court, le téléphone est notre vie !
Il est en outre évident que tout n’est pas rose autour de cet outil. Beaucoup de problématiques ont vu le jour ou se sont accentuées avec le développement accru de l’internet, notamment le cyberharcèlement, la cyberviolence, les atteintes à l’image et à la vie privée, ainsi que la dépendance, entre autres. Il y va par conséquent, pour tous, d’utiliser le téléphone à bon escient. Ce qui implique un engagement de la part des autorités de prendre cette problématique dans un souci de protéger les citoyens, surtout les plus exposés. Sur ce, les enfants doivent faire l’objet d’une attention tout à fait particulière, afin d’assurer une parfaite protection infantile et garantir dans cet espace leurs différents droits.
C’est dans ce contexte qu’on peut saisir le communiqué du ministre de l’Éducation nationale du 21 septembre 2025 portant interdiction de l’usage du téléphone portable en milieu scolaire. Il est de fait qu’une telle mesure ne manquera pas certainement de susciter un débat, souvent même passionnant, entre les tenants de l’interdiction et ceux qui soutiennent la thèse contraire. Des interventions pertinentes ont été soulevées, il faut le dire de tout bord.
Nous tenterons de nous inscrire dans ce sillage, en analysant cette décision à l’aune du droit à l’éducation, d’où l’intérêt de faire la relation entre ce droit fondamental et le téléphone.
I. Une mesure de protection en phase avec les textes
L’article 22 de la Constitution consacre l’éducation comme une responsabilité de l’État en ces termes : « l’État a la charge de l’éducation et de la formation de la jeunesse par des écoles publiques ». Ce qui intègre bien évidemment la responsabilité d’assurer aux apprenants un environnement d’étude efficace et sécurisant. L’interdiction de l’usage du téléphone en milieu scolaire peut être justifiée comme un moyen pour garantir l’assiduité et la concentration des élèves. D’ailleurs, le communiqué en question est très clair là-dessus. En effet, le Ministre de l’Éducation nationale soutient clairement que l’usage incontrôlé du téléphone portable compromet les missions essentielles de l’école. Il affirme que cela risque « de détourner les élèves de l’apprentissage, d’affaiblir leur concentration et de les exposer à des pratiques contraires aux valeurs éducatives ».
Toujours au chapitre des textes, cette décision rejoint fondamentalement l’esprit des traités internationaux en la matière. Il faut rappeler que la Convention internationale des droits de l’enfant et la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant consacrent l’éducation comme un droit fondamental, en lui accordant une place de choix dans l’évolution de l’enfant. Sur ce registre donc, il est clair que l’autorité est en phase avec ces textes. Ainsi, l’article 28 de la Convention reconnaît le droit à l’éducation à l’enfant et impose aux États le caractère gratuit et obligatoire de l’enseignement. Donc, la décision ministérielle a pour objectif d’assurer une éducation de qualité, non perturbée par des outils nuisibles à la concentration.
II. Les enjeux d’application
L’analyse de cette décision met en évidence des enjeux d’application cruciaux, touchant directement à la conciliation du principe démocratique de l’éducation (prévu par l’article 5 de la loi N° 91-22 du 16 février 1991 portant orientation de l’éducation nationale) et des impératifs de l’Agenda 2050 sur le numérique. Il est nécessaire dans ce cas d’éviter de tomber dans le piège de l’exclusion numérique, tout en garantissant efficacement le droit à l’éducation.
Le débat autour de cette décision a été au centre de plusieurs échanges du fait que certains soutiennent que la vision du Président de la République en matière de numérique, notamment avec le New Deal Technologique, est contradictoire avec le communiqué. C’est une compréhension parcellaire, dès lors que le communiqué dégage des hypothèses dans lesquelles l’usage du téléphone est admis, avec un strict encadrement.
Ainsi, au nom du progrès numérique, l’enjeu est d’éviter que l’interdiction ne se mue en obstacle à l’apprentissage du numérique. Étant donné que le téléphone peut être perçu comme un outil de recherche et d’accès aux ressources en ligne pour les élèves. Sur ce point, l’autorité offre la possibilité aux enseignants d’autoriser les téléphones pour des besoins pédagogiques. Cette souplesse est essentielle afin que l’école forme aux compétences numériques et à l’intelligence artificielle.
L’autre défi est lié à la non-discrimination des élèves. C’est un paramètre pris aussi en charge par l’autorité. En effet, la mesure prévoit des dérogations claires pour les élèves en situation de handicap qui utilisent le téléphone comme aide technique.
III. La dimension sociale : un impératif d’adhésion
L’efficacité d’une telle mesure repose non seulement sur sa conformité aux textes, mais aussi sur l’adhésion de la communauté (élèves, parents…). Pour y arriver, il est essentiel d’intégrer une forte dimension de sensibilisation, afin de persuader la cible, de la convaincre. C’est une opération de persuasion qui doit se fonder sur un argumentaire logique, éthique et imaginaire.
Au plan éthique, l’école est un garant de la sécurité psychologique des élèves. Cette mesure est un bouclier contre le cyberharcèlement et la cyberviolence en milieu scolaire. Elle affirme ainsi le droit des enfants à évoluer dans un environnement de confiance. Par ailleurs, logiquement, l’établissement scolaire est un lieu d’apprentissage qui exige une concentration importante. Le téléphone est en mesure de baisser l’attention de l’élève. Donc, l’interdiction de son usage en milieu scolaire est un moyen simple d’assurer que le temps en classe soit exclusivement dédié à la performance scolaire. De plus, sur le plan imaginaire, on peut voir cette interdiction comme une sanction. Or, elle doit être présentée comme une fenêtre de déconnexion indispensable. En réalité, le téléphone doit être considéré comme un outil dont l’usage requiert des règles de discipline.
La réussite de cette mesure dépendra d’un dialogue communautaire : les parents doivent comprendre qu’il est surtout question de renforcer le droit à l’éducation des enfants, à travers cette interdiction, et les élèves doivent intégrer que la décision ministérielle est au service de leur développement.
Moustapha SYLLA
Éducateur spécialisé à l’AEMO de Linguère/Ministère de la Justice
Syllamoustapha852@gmail.com
Mis en ligne par Buur Sine
Share this content: