Macky Sall et l’écho du vide – Par Mamadou Mbodji et Karim Fall

À peine les portes du Palais refermées, Macky Sall s’est découvert une passion soudaine pour le globe. D’un sommet à l’autre, d’un forum à un autre, il bat la mesure d’un ex-président hyperactif, omniprésent, comme si la planète entière devait combler le vide qu’a laissé son départ du pouvoir.
Mais ne nous y trompons pas : cet activisme diplomatique effréné n’est pas celui d’un homme d’État serein, c’est celui d’un homme en quête d’air. Au lieu de se tourner vers son propre pays, il projette vers l’extérieur l’énergie inquiète d’un ancien chef qui cherche dans la scène internationale un miroir de substitution.
Ce phénomène est dû au chancellement de la représentation de soi lorsque le pouvoir s’éteint. Le dirigeant, habitué à être observé, se met à s’observer lui-même. Pour ne pas affronter le vide intérieur, il s’invente une mission nouvelle, souvent sans ancrage.
Chez lui, cette fébrilité prend la forme d’un mouvement perpétuel : un trop-plein d’activité qui tient lieu d’équilibre. Mais cette hypermobilité n’est pas seulement une réponse au manque ; elle traduit aussi une conscience diffuse que le temps, désormais, ne joue plus pour lui.
Dans cette fuite vers l’agenda international, il y a autant de diplomatie que de stratégie : l’homme qui s’agite ainsi ne cherche pas seulement à continuer d’exister, il tente aussi de rester hors de portée du regard qui pourrait, un jour, le rappeler à ses responsabilités.
Macky Sall s’agite comme pour brouiller les pistes. Mais la poussière qu’il soulève finit toujours par retomber sur lui. Il faudra pourtant bien solder, tôt ou tard, les conséquences d’une gouvernance dont le pays porte encore les cicatrices politiques et morales.
Les ombres d’un règne : 84 morts et des comptes à rendre
Sous son règne, la République s’est couverte de cicatrices. De 2021 à 2024, les manifestations ont été noyées dans le sang et la peur : 84 morts selon plusieurs organisations locales, 65 selon les sources internationales — mais qu’importe le chiffre exact, une seule vie arrachée par la répression d’un pouvoir contesté est déjà une honte nationale.
Les prisons ont débordé de jeunes militants, d’opposants et d’étudiants ; les familles ont pleuré en silence ; et les médias, bâillonnés, ont dû choisir entre la censure et la fermeture.
Le pays qui se vantait d’être la vitrine de la démocratie africaine est devenu un laboratoire d’intimidation politique.
Il y a eu un glissement progressif du politique vers le sécuritaire : le régime a cessé de gouverner par adhésion pour gouverner par contrôle. L’État est devenu une architecture défensive, obsédée par la maîtrise des corps et des émotions collectives. Ce n’était plus une République qui arbitrait, mais un appareil qui se protégeait. Cette dérive, souvent insidieuse, s’installe quand la peur du désordre remplace la confiance dans le dialogue
Et pendant que la jeunesse se faisait gazer, tabasser ou exiler, les caisses de l’État se vidaient à coups de procédures opaques, marchés controversés et de dettes dissimulées : sept milliards de dollars de dettes dissimulées (FMI, 2025) ; des “écarts financiers massifs” (Cour des comptes, 2025) et des projets d’émergence devenus gouffres d’endettement.
Le Sénégal a payé cher le repli d’un pouvoir réduit à un seul ego et l’aveuglement d’une cour fascinée par sa propre proximité du trône.
La dérive autoritaire et la gabegie : quand la République devint un décor
À force de vouloir incarner la République, Macky Sall a fini par la caricaturer.
Sous ses deux mandats, le pouvoir s’est resserré jusqu’à devenir un bunker, et la démocratie s’est peu à peu étouffée sous les couches de communication, de mise en scène et de béton.
Les grands travaux ? Des monuments d’orgueil. Le TER, Diamniadio, les autoroutes, tout cela brille, mais sans âme, sans équité, sans ancrage. Ce n’est pas le Sénégal qui a émergé : c’est une caste. Autour de lui, il a installé des “ministrons” et des affidés choisis moins pour leur compétence que pour leur loyauté. Des politiciens sans envergure, souvent coupés de la culture d’État, sans mémoire historique ni vision, persuadés que gouverner consiste à s’afficher derrière le Chef et à applaudir en cadence.
Les sciences politiques nomment cela la “routinisation du charisme” (Weber) : quand le pouvoir cesse d’être incarné pour devenir mise en scène, et que la loyauté remplace la légitimité. À ce stade, le système n’est plus dirigé, il s’auto-entretient : chacun sert pour ne pas disparaître, chacun se tait pour ne pas être vu. La cour devient alors le miroir déformant du chef — et plus il se replie, plus elle l’applaudit.
Mais derrière cette mécanique institutionnelle se cache un ressort intime : la peur du doute. Le chef ne cherche plus à convaincre, il exige d’être confirmé. Tout désaccord devient une menace, toute réserve une trahison. La distance entre le pouvoir et la paranoïa se réduit à mesure que l’entourage se vide de courage.
Il a consolidé un entourage de convenance, sans boussole ni conviction, bruyant mais sans substance, persuadé qu’être loyal, c’était se taire face aux dérives du pouvoir.
L’arrogance et le mépris dont il a parfois fait preuve envers ses compatriotes se mêlaient à une peur constante de la contradiction et à une méfiance maladive envers toute remise en cause.
C’est ainsi que la République s’est rétrécie : d’un projet collectif, elle est devenue un espace psychologique saturé par un seul ego. La verticalité s’est muée en isolement, et la parole publique en soliloque. Dans ce théâtre fermé, la politique n’était plus un acte, mais une posture.
Cette mécanique de la cour n’est pas nouvelle : elle prospère dans les régimes où la parole est risquée et le silence récompensé. L’obsession du contrôle finit par dissoudre la confiance, et le pouvoir se transforme en huis clos émotionnel — une scène saturée d’échos, mais vide de sens. Ce mélange d’autorité rigide et d’insécurité intérieure a durablement marqué son style de gouvernance, y compris après son départ du pouvoir. Sous cette cour de courtisans, la gouvernance a perdu son âme et le pays sa respiration. La République s’est faite minuscule, coincée entre l’égo d’un homme et la lâcheté d’un système.
Le fils dévoyé : l’élève sans grandeur du maître Wade. Macky Sall aime se présenter comme l’héritier politique d’Abdoulaye Wade qui serait son “père spirituel”, son modèle, son maître. Mais il n’en a gardé que la roublardise, jamais la vision, la ruse, jamais le courage, la prudence calculée, jamais la flamme du courage. Là où Wade maniait la stratégie comme un art, Macky en a fait un réflexe de défense, de survie. Là où le vieux maître pensait l’Afrique, son disciple n’a pensé qu’à lui-même et à son confort
Être l’enfant de Wade ne se limite pas à avoir connu le pouvoir, mais à savoir l’habiter.
Macky Sall, lui, l’a simplement occupé.
La psychologie du pouvoir offre ici une clé de lecture : le disciple sans filiation assumée tend à transformer l’imitation en compétition. Ce besoin d’effacer le père symbolique conduit à une gouvernance anxieuse, crispée sur la preuve permanente de sa légitimité. Ce n’est plus l’élève qui prolonge le maître, c’est le successeur qui cherche à le faire oublier. Il a pris de Wade le goût du calcul, mais non la flamme ; l’obsession du contrôle, mais non la capacité à innover ; la malice du politicien, mais non la hauteur de l’homme d’État. En somme, il fut le fils sans héritage : le produit d’une école dont il n’a retenu que les intrigues de cour, jamais les leçons de l’Histoire.
Les dynamiques sociales du pouvoir confirment souvent ce schéma : lorsqu’une filiation politique se rompt, le système se replie sur la loyauté personnelle et la peur de la comparaison. Le leadership devient défensif, tourné vers la protection de soi plus que vers l’invention collective. Ce qu’il a construit après Wade n’a pas prolongé une vision : cela l’a amoindrie.
Et en reniant la mémoire de celui qui l’avait fait roi, Macky Sall a confirmé ce que beaucoup pressentaient : qu’il n’était pas le continuateur d’un héritage, mais le miroir inversé d’une lignée.
De cette filiation blessée est née une personnalité politique paradoxale : prudente jusqu’à l’excès, méfiante, autoritaire dans le doute, obsédée par le contrôle. On pourrait parler ici d’un pouvoir orphelin : un exercice sans ascendance ni descendance politique, replié sur lui-même, incapable de transmettre autre chose que la peur de perdre.
Et dès qu’il a perdu ce contrôle, son vernis de sérénité s’est fissuré.
Peur, hyperactivité et narcissisme : le vide du pouvoir
Les psychologues ont un mot pour cela : syndrome du vide de pouvoir. Le patient type : un dirigeant déchu incapable de respirer sans les caméras, qui parle de tout sauf de ses fautes, et qui confond l’agitation avec l’existence. Depuis sa sortie du Palais, Macky Sall ne s’arrête plus. Il veut être vu, entendu, applaudi, reconnu, quitte à se répéter ou à se contredire.
Ses discours sur “l’émergence” et “la stabilité” sonnent comme un disque rayé, une thérapie de substitution à la perte du trône. L’on pourrait décrire ce moment comme une phase de “dissonance post-mandat” : l’esprit continue à régner alors que le corps n’a plus d’État. L’hyperactivité n’est pas qu’un réflexe de vanité ; elle devient un dispositif de survie psychique destiné à conjurer la perte d’autorité et, plus encore, la peur du jugement. C’est du déni !
Macky Sall fuit le silence, car le silence le met face à lui-même. Et rien n’effraie davantage un autocrate que le miroir de ses propres décisions. Cette fuite permanente s’explique moins par le tempérament que par la stratégie : multiplier les déplacements, les rencontres, les tribunes, c’est aussi se maintenir dans un espace diplomatique où le politique se confond avec l’immunité. Le mouvement devient un bouclier, la parole une armure ; chaque déplacement est une manière d’échapper à la fixité du regard judiciaire.

Aujourd’hui, Macky Sall cherche à échapper à son destin bien qu’il se dise croyant ! Car derrière tout cet activisme débordant qui le mène du Nord au Sud, de l’Est à l’Ouest, de fora à fora, il tisse des réseaux d’influence dans une quête effrénée d’une armure, une cotte de mailles symbolique pour se protéger du rouleau compresseur de la justice internationale.
Derrière cet activisme et ce besoin viscéral d’être hypermédiatisé, de se rendre visible et audible jusqu’à chantonner « Le coq chante », au-delà de faire parler de lui, on pourrait penser à un ego surdimensionné, un problème de narcissisme débordant. Mais chez lui il ne s’agit pas de narcissisme de conquête mais plutôt de sauvegarde : le premier cherche l’adhésion, le second la protection. Ici, l’exposition médiatique n’est pas une démonstration de force ; c’est une manière de gagner du temps, de diluer la responsabilité, d’imposer une présence permanente pour ne pas devenir un sujet d’enquête.
Ses mobiles sont ailleurs : Il a peur ! Il a très peur de tomber dans l’oubli, que l’on ne parle plus de lui, car l’oubli, le silence le concernant, c’est la voie balisée et avec tapis rouge qui va lui être déroulé vers la CPI.
Ce n’est plus du leadership : c’est du déni. Quand la fonction s’étiole, le chef transforme la politique en théâtre de sauvegarde personnelle. Il ne gouverne plus : il se protège. Hypermobilité, communication saturée, réécriture de soi : tout vise à différer l’heure des comptes.

L’homme à la mémoire trafiquée
Chez Macky Sall, la réécriture n’est pas un accident : c’est un mode de respiration. Il efface pour ne pas partager, réécrit faute de convaincre. Il se fabrique une autobiographie alternative où les compagnons deviennent figurants et la réalité se tord pour s’agenouiller devant son récit.
Ce n’est plus de la politique : c’est du rebranding existentiel. Son dernier livre n’est pas un témoignage, mais une mise en scène : angles redressés, erreurs repeintes, noms gommés, vertus inventées. Ce besoin de corriger le passé révèle une faille : l’incapacité à cohabiter avec sa propre vérité.

Il n’y a pas de grandeur sans mémoire juste. En s’arrogeant le monopole du souvenir, il dévoile l’imposture : vouloir être le propriétaire du passé. Il exige que l’Histoire s’incline non devant ce qu’il fut, mais devant ce qu’il prétend avoir été. Drame d’un homme qui cherche la célébration d’un récit qu’il a inventé alors que le pays se souvient encore de ce qu’il a renié.
Matrice d’une survie : agitation et réécriture pour gagner du temps, modeler le récit, saturer l’espace public et empêcher la mémoire de s’organiser en accusation. Derrière le vacarme : moins l’ego que la peur de la chute.

Immunité par la diplomatie : la fuite vers l’ONU
Les rumeurs d’un poste onusien ou africain relèvent d’une stratégie de repositionnement : chercher dans la diplomatie un refuge symbolique face à la reddition des comptes. De New York à Addis-Abeba, il se rêve en “sage africain”, médiateur et porte-voix. Ironie : celui qui a réprimé sa jeunesse voudrait parler au nom des générations futures.

Ses voyages ressemblent à un tour du monde d’autolégitimation, une quête d’immunité maquillée en mission humaniste. Les spécialistes parlent d’“immunisation symbolique” : convertir le pouvoir perdu en capital d’influence, déplacer la scène du jugement vers celle du prestige. La diplomatie devient un instrument de sauvegarde personnelle : transformer une légitimité interne déclinante en reconnaissance externe. C’est l’“externalisation de la légitimité” : utiliser visibilité et statut pour neutraliser la responsabilité. Autrement dit, la scène mondiale sert de refuge quand la scène nationale devient un tribunal.

Le monde n’a pas besoin d’un Macky Sall pacificateur ; il a besoin d’un Macky Sall redevable.
Car la politique n’est pas une scène d’auto-fiction : elle est une redevabilité concrète envers des vies brisées, des parcours stoppés, des promesses trahies. Le récit ne guérit pas les plaies ; la justice, si.

Difficile d’évaluer le coût de cet activisme (voyages, forums, conseillers, avocats). Avec quel argent ? Partenaires, réseaux, fonds privés ? Nul ne le sait. Et quel bilan ? Une gouvernance marquée par la répression la plus violente de notre histoire récente : 2021–2023, 84 morts selon plusieurs organisations indépendantes. Cette perspective onusienne n’est portée que par lui et quelques partisans encore enfermés dans le déni.

Le miroir du destin : la justice approche
Ironie de l’Histoire : celui qui ouvrit le sol sénégalais au jugement d’Hissène Habré pourrait être symboliquement rattrapé par le même modèle. Quand le pouvoir se sent menacé, il projette, transforme la justice en hostilité supposée, multiplie gestes et alliances pour écrire sa défense.
La Haute Cour de Justice du Sénégal existe — endormie dans l’article 101 de la Constitution — jamais activée, jamais abolie. Épée au fourreau qu’on commence à palper. Les juristes parlent de “latence institutionnelle” : un organe prévu pour juger les plus hauts responsables, neutralisé par la pratique. Cette inaction crée une dette de justice, un espace suspendu où la mémoire nationale n’a pas encore de traduction juridique.

Si la justice sénégalaise se tait, la justice africaine pourrait parler : une chambre spéciale mixte, sur le modèle Habré, pour examiner violences politiques et abus d’État. À défaut, le droit international invoquerait la complémentarité : quand un État ne juge pas ses responsables, d’autres juridictions le peuvent. Et si l’Afrique se taisait encore, la CPI — dont le Sénégal fait partie — écouterait les mères qui pleurent leurs fils. Le droit, au-delà des frontières, ne poursuit pas des hommes : il poursuit des précédents. C’est la logique du miroir institutionnel, qui renvoie à chaque pouvoir l’image exacte de ce qu’il a fait subir. Oui, Macky Sall peut redouter non un complot, mais le verdict de l’Histoire — plus implacable que les tribunaux, écrit dans la conscience collective qui ne prescrit jamais.

2029 : l’illusion d’un retour
On murmure “retour”. Retour de quoi ? Le parti s’est vidé, les fidèles se sont éparpillés. Les Sénégalais ont tourné la page. Imaginer Macky Sall candidat en 2029, c’est un feu d’artifice dans une maison en ruine. Avec quel parti ? Quels militants ? Quelle légitimité ? Où va-t-il battre campagne ? À partir de Marrakech ? Via WhatsApp ?

Faiseur de roi ? Qui voudrait d’un tel “sherpa” ? Ceux qui crurent à sa loyauté en ont payé le prix. Les Sénégalais savent ce qu’ils ne veulent plus : ni de lui, ni du système dont il fut le dernier dépositaire.
Avec le “syndrome du pouvoir épuisé”, la légitimité s’effondre avec l’appareil qui la soutenait ; le charisme ne produit plus que de la fatigue. Fin d’un cycle, non d’un mandat. Son itinéraire atteste d’une intelligence tactique et du goût de la mise en scène. Il a fait flèche de tout bois — souvent mal taillée — mais empoisonnée pour tout ce qui faisait obstacle à ses desseins. Dirigeant impulsif sous des dehors de froide maîtrise, il a fini par tirer sur sa propre image, puis sur son ombre.

Les analystes (Barber, Post) décrivent la phase post-mandat comme un “cycle de répétition symbolique” : plus le pouvoir s’éloigne, plus on rejoue les scènes anciennes. Faire campagne sans électorat, discours sans auditoire, ça n’est pas un projet, c’est une défense.
Au pouvoir, il rappelait Don Quichotte face aux moulins qu’il prenait pour des géants. On rirait… si 84 jeunes n’avaient pas péri. Entouré de courtisans bruyants confondant loyauté et vacarme, il s’y est identifié — persuadé que le bruit payait, car c’était ce qui les nourrissait. Il ne lui reste ni socle populaire, ni crédibilité morale, ni espace politique. Le Sénégal a mûri ; ce peuple qu’il croyait docile a appris la résistance. Il apparaît désormais comme ce qu’il est devenu : le passé, en costume bleu-nuit, en quête d’une lumière qui ne veut plus de lui.

Ce refus du retour n’est pas seulement moral : il est structurel. Les transitions démocratiques montrent qu’un pouvoir défait ne se régénère pas de son propre épuisement. Quand une société franchit un seuil de conscience civique, elle ne revient pas en arrière. Revenir, dans ce contexte, ne serait pas une ambition, mais une dissonance. La décence imposerait la réserve.

Mais il a choisi l’autolégitimation permanente : parler, s’expliquer, occuper la scène. L’homme d’État s’est mué en personnage agité. Derrière le calme, une fébrilité : tempérament impulsif, obsédé par le contrôle, vite débordé par la contradiction. Il n’écoute pas : il réagit. Il ne dialogue pas : il répond. Il ne s’interroge pas : il se justifie.

La peur du silence
Jamais un ancien chef d’État n’a fait autant de bruit après sa chute. Voyages, conférences, publications : une mise en scène de présence pour combler l’absence. Le mouvement n’est pas énergie : c’est une défense ; le bruit, une stratégie. Il ne veut pas convaincre le monde : il veut étouffer sa conscience. Pour celui qui gouverna par le contrôle, le silence n’est pas repos : c’est une menace, un gouffre.

Face à un héritage d’excès — répression brutale, morts en manifestation, gouvernance brouillonne, dérives financières et foncières — la dignité commanderait la retenue. Il a préféré le vacarme : une “fuite narrative” qui sature l’espace médiatique pour retarder le jugement.
Tout son activisme obéit à cette logique : occuper la scène pour éviter le face-à-face avec la mémoire. Agitation diplomatique relayée complaisamment par certains médias : non ce n’est pas un agenda, mais une peur organisée — celle d’être réduit à un nom sans fonction, à un souvenir sans contrôle.

Dans un État de droit, invoquer la “vengeance” pour esquiver la redevabilité est une diversion politicienne. La justice, rappelait René Girard, “rationalise la vengeance” et lui substitue un cadre qui prévient la spirale de violence, grâce à l’indépendance de l’autorité judiciaire (La Violence et le Sacré). Le Sénégal n’attend ni vengeance ni bruit : il attend la vérité. Elle ne se construit pas à New York ou Marrakech, mais ici, dans la mémoire des faits et les visages qui se souviennent. La justice, quand elle tarde, ne disparaît pas : elle mûrit.

Qu’on ne s’y trompe pas : la dignité d’un ancien chef d’État se mesure à sa capacité de silence responsable et d’explication devant la loi, non à l’addition de miles aériens et de selfies diplomatiques. Et aujourd’hui, la question n’est pas de savoir s’il reviendra, mais ce que son agitation dit de la fin d’un modèle. Macky Sall ne prépare pas un retour : il prolonge une disparition. C’est peut-être là, dans cette incapacité à se taire, que s’écrit la dernière page d’un règne qui refuse d’admettre sa clôture.

Macky Sall n’a pas quitté le pouvoir : le pouvoir s’est détaché de lui. Il voulait un symbole ; il laisse un symptôme — celui d’un modèle politique épuisé où régner fut confondu avec durer, et durer avec parler. Vient un temps où la parole ne protège plus : elle dénonce. Et des silences qui, loin de condamner, réhabilitent ceux qui savent s’y tenir.

— Mamadou Mbodji, psychologue clinicien
— Karim Fall, analyste en psychologie politique et dynamiques sociales »

Mis en ligne par Buur Sine 

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